Annale – Rousseau, Discours sur le fondement de l’inégalité parmi les hommes

Identifier la thèse - La méthode

I. Problème et thèse

 

Il s’agit de rendre compte du problème philosophique traité par l’auteur. Pour identifier ce problème philosophique, il faut passer par l’identification de la thèse, l’idée générale défendue par l’auteur. Ce n’est qu’à partir de l’identification de cette idée générale défendue par l’auteur qu’on peut remonter au problème philosophique traité. Autrement dit, la thèse est une réponse au problème et il faut d’abord identifier cette réponse qui est donnée par l’auteur au problème pour pouvoir remonter à la question philosophique qu’il traite.

Ces deux éléments, la thèse et le problème, peuvent très bien ne pas être formulés explicitement par l’auteur dans son texte. C’est un des objectifs de l’exercice de trouver et formuler la thèse puis le problème.

 

II. Distinguer la thèse

 

Il faut bien distinguer la thèse d’un argument. C’est un écueil important et une erreur très classique.

On va prendre pour exemple ce texte de Platon, extrait des Lois :

« Les hommes doivent nécessairement établir des lois et vivre selon des lois, sous peine de ne différer en aucun point des bêtes les plus totalement sauvages. La raison en est qu’aucune nature d’homme ne naît assez douée pour à la fois savoir ce qui est le plus profitable à la vie humaine en cité et le sachant, pouvoir toujours et vouloir toujours faire ce qui est le meilleur. La première vérité difficile à connaitre est, en effet, que l’art politique véritable ne doit pas se soucier du bien particulier, mais du bien général, car le bien commun assemble, le bien particulier déchire les cités, et que bien commun et bien particulier gagnent tous deux à ce que le premier, plutôt que le second, soit solidement assuré. »

Ce texte est d’une longueur à peu près classique pour l’exercice. La première erreur, et la principale, qui empêche véritablement d’expliquer le texte est de prendre une partie du texte pour la thèse elle-même. Il n’est pas question de prendre une partie pour le tout. Il s’agit bien de saisir qu’une thèse est ce qui fait l’unité du texte. Si on prend un argument à la place de la thèse, il y a toute une partie du texte qui semble inutile. Donc il faut bien distinguer entre un argument qui vise à défendre une idée et l’idée telle qu’elle est défendue, telle qu’elle résulte de cette argumentation. Tout en sachant qu’une thèse peut être défendue par plusieurs arguments.

 

III. Qu’est-ce qu’une thèse ?

 

On peut expliquer ce qu’est une thèse par une métaphore de stratégie militaire. Chaque texte est une stratégie argumentative. C’est une machine argumentative. Il vise à défendre un point précis. Pour cela, un texte comme une armée utilise l’infanterie, les chars, l’aviation. L’objectif est par exemple de prendre la colline et on va utiliser tous les moyens qui sont à notre disposition pour obtenir l’objectif défendu.

L’objectif défendu est précisément la thèse. Il faut donc saisir quel est l’objectif que se donne un auteur et quels sont les moyens divers et variés – moyens conceptuels, organisation, structure logique du texte, et arguments – pour défendre la position qu’il cherche à défendre : sa thèse. Donc l’objectif principal est vraiment de saisir quel est cet objectif, quelle est cette thèse, quelle est l’idée défendue par la totalité du texte. La règle à retenir est qu’une thèse est ce qui fait l’unité d’un texte, ce qui signifie que toutes les parties du texte, chaque phrase, chaque détail du texte, peut-être rapporté à la thèse puisque chaque partie, chaque élément du texte a pour objectif de défendre sa thèse.

La lecture du texte

Dans la méthode d’explication de texte, il est très clair que pour commencer, le premier travail à faire est de lire le texte. Ce cours explique un certain nombre de points par rapport à la lecture d’un texte. On ne sait pas lire tout de suite : il faut apprendre à lire un texte philosophique.

 

I. Nombre de (re)lectures

 

Il n’y a pas un nombre de lectures et de relectures standard. Dans la mesure où il est question de comprendre précisément le texte, il faut lire le texte le nombre de fois nécessaire pour que sa compréhension soit précise et pour qu’elle soit certaine, c’est-à-dire pour qu’on soit assuré dans la compréhension qu’on en a. Cela peut vouloir dire lire le texte dix fois ou quinze fois si c’est nécessaire. Il faut vraiment prendre le temps au brouillon, même si cela doit prendre une bonne heure et demie, de faire ce travail de lecture approfondie du texte, dans la mesure où un texte qui ne sera pas compris sera mal expliqué.

 

II. Le travail sur le texte

 

Lire un texte peut se faire en plusieurs fois. D’abord d’une manière cursive, c’est-à-dire du début jusqu’à la fin sans rien y faire, le relire si c’est nécessaire une deuxième fois. Au bout de la troisième ou de la quatrième lecture, il faut commencer à travailler le texte, c’est-à-dire à souligner les points importants du texte, certains concepts ou mots décisifs par rapport à la thèse ou au problème.

Il faut aussi faire des césures et essayer d’identifier dans le texte les différentes étapes du raisonnement. C’est un travail sur lequel on peut revenir, il ne faut pas hésiter à « maltraiter » un texte, c’est-à-dire le surligner, le souligner avec vos outils.

Travailler sur un texte et lire un texte, c’est aussi éviter un écueil très important et qui provient de la précipitation. Il faut prendre le temps de lire le texte et ça veut dire, en particulier, quand on lit, ne pas s’accrocher sur une signification. Quand on saisit quelque chose, on a tendance à vouloir absolument accrocher le sens qu’on a compris et ensuite on n’est plus disponible pour la suite du texte. Donc apprendre à lire un texte revient à laisser le texte dire tout ce qu’il a à dire, y compris si la suite du texte semble contredire la première compréhension.

Il faut relire le texte dans son intégralité pour s’assurer que tout est bien cohérent. C’est une bonne règle de se dire que si on a l’impression que l’auteur se contredit quand on lit le texte, c’est que l’on n’a pas compris le texte. Il faut relire le nombre de fois nécessaire pour trouver une cohérence dans le texte.

 

III. Les écueils de lecture

 

A déjà été abordé le fait de s’accrocher sur une signification première et ensuite de ne pas être disponible pour la suite du texte.

Un autre écueil de lecture est de s’attarder à une seule partie du texte, qu’elle soit au début ou à la fin, sans être attentif à la totalité du texte. L’objectif dans la lecture elle-même est de lire le nombre de fois nécessaires pour que on ait à l’esprit la fin du texte quand on lit le début et qu’on ait à l’esprit le début du texte quand on lit la fin, pour qu’on puisse vraiment avoir une intelligence globale de tout le texte. C’est essentiel parce qu’il va falloir identifier le problème et la thèse de ce texte.

Distinguer un argument de la thèse - Exemple

Distinguer la thèse d’un argument est un enjeu essentiel, puisqu’il s’agit d’identifier la thèse.

 

I. Le texte

 

Reprenons le texte de Platon, extrait des Lois :

« Les hommes doivent nécessairement établir des lois et vivre selon des lois, sous peine de ne différer en aucun point des bêtes les plus totalement sauvages. La raison en est qu’aucune nature d’homme ne naît assez douée pour à la fois savoir ce qui est le plus profitable à la vie humaine en cité et le sachant, pouvoir toujours et vouloir toujours faire ce qui est le meilleur. La première vérité difficile à connaitre est, en effet, que l’art politique véritable ne doit pas se soucier du bien particulier, mais du bien général, car le bien commun assemble, le bien particulier déchire les cités, et que bien commun et bien particulier gagnent tous deux à ce que le premier, plutôt que le second, soit solidement assuré. »

Il faut d’abord le lire le texte d’une manière suffisamment attentive et le nombre de fois nécessaires pour bien le comprendre.

 

II. La thèse

 

Ce qui est un petit peu délicat dans ce texte est que l’argument est lui-même démontré. L’argument en l’occurrence est la dernière phrase du texte, qui porte sur la question politique de la distinction entre bien commun et bien particulier. L’un déchire les cités, l’autre au contraire les assemble. L’erreur classique est précisément de dire que la thèse se trouve là.

Or pour Platon, ce n’est qu’un argument pour démontrer ce qu’il a énoncé dans la première phrase, c’est-à-dire que ce qui fait la marque de l’Humanité de l’homme est précisément le fait qu’il se donne des lois et qu’il vive selon des lois. Autrement dit, prendre l’argument de la fin du texte pour la thèse qui est énoncée dès le début, c’est passer à côté du texte puisque c’est passer à côté de la structure de son argumentation et de la structure logique de sa démonstration.

 

III. L’argument

 

Cet argument fait lui-même l’objet d’une démonstration. A l’intérieur de la dernière phrase, il y a un  « car ». Autrement dit, l’argument est lui-même défendu grâce à un autre argument. Il y a un argument dans l’argument. L’objectif, et cela est valorisé, est la capacité à montrer à quoi aboutit l’ensemble de cette démonstration, c’est-à-dire ce que Platon a en vue, et les moyens argumentatifs qu’il a mis en place pour défendre sa thèse, thèse qui est dans la première phrase du texte.

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